Le pouvoir de la peinture

Le pouvoir de la peinture

23 juin / 30 novembre 2013

Textes du catalogue de l'exposition (extraits)




Jean-Baptiste Para
Les nourritures terrestres de Paul Rebeyrolle - Extrait de "Paul Rebeyrolle, peintures 2000-2001" - FIAC 2001 / Galerie Jeanne-Bucher

Parmi les œuvres récentes de Rebeyrolle (2000-2001), certaines sont nées d’un séjour du peintre à Madagascar. Dans cette île qui porta jadis le nom d’Imerina, « le pays qu’on voit de loin sous le jour », la lumière et les couleurs l’ont assailli. Il a aimé se mêler à son peuple, fraterniser avec sa richesse d’âme et son existence frugale. Il n’a pas recherché le pittoresque de la flore ou de la faune. Il n’a pas rêvé à l’inoffensif boa malgache ni aux étranges lémuriens. Il a tout simplement voulu que cette terre lointaine, par la peinture, devienne un peu la sienne.
Ce sont les échoppes d’un quartier pauvre d’Antananarivo qui l’ont requis. Un lieu de sociabilité, où s’exposent les fruits du travail des hommes, les nourritures qui assurent leur subsistance et par lesquelles se perpétue le cycle de la vie.
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CATALOGUE DE L'EXPOSITION
DISPONIBLE À L'ESPACE BOUTIQUE

Le Chien blanc
2000 / Série Madagascar / 278 x 240 cm

Jean-Baptiste Para
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Dans les compositions de Rebeyrolle, c’est de ces provendes que vient la lumière. Les échoppes sont des tanières d’ombre d’où émerge toute une population cavernicole de fruits, de légumes, de viandes. Les carottes paradent en pyramides phalliques, intensifiant leur couleur vers le rouge des pâmoisons, le pain croustille sous le regard, comme pétri à pleine pâte et défourné par le peintre devenu mitron, les bananes dansent une brève sarabande, répercutant de jaunes stridences, le cou des poules s’épanche vers quelque miette aperçue au sol, derrière le treillis d’une cage, une pastèque ouverte laisse gicler le grenat de sa pulpe juteuse, farine et épices se soulèvent en monticules granuleux, en pitons de poudre où l’on voudrait plonger la main, un amas de braises laisse monter dans l’air une fumée qui serpente et se mêle aux odeurs qui stagnent, aux parfums qui flânent, tout un délire d’arômes que le ventilateur s’efforce de brasser, lui qui vient éclore sur la toile comme une fleur à grande corolle. Les poissons écailleux, Rebeyrolle les peint avec gourmandise, comme si son regard se précipitait sur eux d’un bond de chat. Le chien qui somnole est d’une blancheur pelée qui laisse affleurer le rose de la peau. Tout cela vit dans un fourbi bien charpenté, car la peinture, dit Rebeyrolle, est « une organisation qui doit rendre compte du désordre », du surgissement des choses, du remous des matières.

Anosisoa, l’île du bien
2000 / Série Madagascar / 170 x 170 cm

Poulets
2000 / Série Madagascar / 146 x 114 cm

Osso bucco
2001 / 146 x 114 cm

Anosisoa, l’île du bien
2000 / Série Madagascar / 170 x 170 cm

Poulets
2000 / Série Madagascar / 146 x 114 cm

Osso bucco
2001 / 146 x 114 cm

Francis Marmande
Rebeyrolle au javelot - In catalogue Rebeyrolle - Domaine national de Chambord - Somogy éditions d'art 2012

Tous les matins, à Boudreville, qu’il neige ou que ses jambes ne le portent qu’en tanguant, Paul courait vers l’atelier, porté par la joie. Il lisait les journaux, suivait les sports, écoutait la radio, mais ne fonctionnait qu’à la mémoire visuelle. Sans croquis ni carnet : « Tu ne peux pas peindre un étalage à Madagascar comme tu peins un corps de femme ou un arbre. Ce que tu gardes en mémoire t’oblige  à des renouvellements plastiques. » Sur les huiles, les colles, les essences, les acétates, il est intarissable.
Qu’on puisse le ranger parmi les « matiéristes » le mettait hors de lui. Matérialiste, oui, « mais juste pour essayer de m’approcher au plus près de ce que je crois être la réalité des choses. Réussir un tableau ne m’intéresse pas : si je veux peindre un arbre, avec des matériaux et des collages, c’est pour atteindre une vérité <arbre>, me rapprocher de ce que j’aime, donc j’essaie des techniques. Si c’est un hérisson, faut qu’il soit hérissé, si c’est un corps de femme, qu’il soit laiteux, même s’il est parfois dans de sales situations. »
Rebeyrolle n’avait peur ni du naturalisme, ni de ce sous-réalisme à quoi il aspirait ; ni des modes et des institutions qui l’ont  bien ignoré. Il n’avait peur de rien.
Il a pu souffrir de l’ignorance et du mépris. Il ne faisait pas de cadeau.
Si l’on ne veut pas perdre la face, sa peinture, il faut la regarder de face. Elle sait le mensonge absolu de l’art, la simulation, l’illusion de la réalité, mais il se fait fort d’en déjouer les mécanismes. Il y a un orgueil de conscience et d’humilité dans la démarche de Rebeyrolle. En vérité, il avait assez travaillé à sa place pour savoir où elle était, où elle sera, où elle est pour nous.

Rebeyrolle, Eymoutiers 2002
Photographie de Gérard Rondeau